Maître Follas : Pour revenir à A Bomb. Qu’est ce que vous avez sortis au niveau disques et quelle diffusion ?
Grosbert : On a sorti un album. Qu’est ce qu’on peut en être fier. Surtout moi. Je dirais qu’une chose : cet album vaut le premier Damned, le premier Saints, les 3 premiers de Dr Feelgood, le premier Stooges, même le deuxième Stooges. C’est le plus beau premier album qu’on aurait pu rêver en France dans toute l’histoire de la musique punk et destroy ! C’est la chose dont je suis le plus fier de ma vie ! C’est nickel, destroy, crado, pur 77. Pourtant ça a été pressé en 86, enregistré en 85. On pourrait parlé de l’enregistrement. Comment un groupe perdu dans un bled de merde, qui pourtant est la capitale de l’Europe, arrive à enregistrer un skeud sans une tune ? Pour payer l’enregistrement, j’ai vendu tous mes disques, AGA, le mods et Loukoum je sais pas comment ils se sont démerdés. Lucien, si je me souviens bien, il a jamais pu amener 20 centimes. Le studio ne nous supportait pas, tellement on était violent. Ils nous ont chassé. Le mods est retourné avec Lucien récupérer les bandes. Je ne sais même pas si les tunes que j’ai payé sont arrivées jusqu’au studio. On est parti à Paris pour faire pressé. C’est , en tout cas pour moi, la plus belle chose que j’ai fait de ma vie. C’est pur souche ce que j’aime dans la musique. Une espèce de rock’n roll pur, destroy, crado, hard,… On a aseptisé tous les groupes français de l’histoire du rock’n roll. Cet album c’est une merveille. Mais il s’est malheureusement vendu qu’à 2000 exemplaires car la boite a fait faillite [rires]. Ils en avaient pressé 3000. Ils ont laissés les 1000 qui restaient sur le marché et je les retrouve encore en faisant les marchés au puces.
Gaby : Ils sont rares.
Grosbert : Sur Strasbourg, on en trouve encore 2 en vente. Ceux qui les cherchent, les trouvent.
Gaby : On devrait le ressortir en CD. Je suis sur que ça marcherait. On est tombé juste avant le CD.
Grosbert : Aujourd’hui, ça coûte presque rien à un groupe d’enregistrer un disque. Tu mets 30 000F sur la table et c’est bon. Nous à l’époque c’était des dizaines de milliers de francs. Nous on braquait, on arnaquait, on payait jamais… C’était un autre monde. Aujourd’hui le dernier groupe du Neuhof qui veut faire du rap, il arrive dans son immeuble à faire son CD. Il a même pas besoin de brancher avec le business. Nous à l’époque, rien que la SACEM a tout fait pour qu’on enregistre jamais. Aujourd’hui, j’aurai 15 ans, j’enregistrerai mon premier disque.
Gaby : Vu le prix du matos à l’époque, acheter un ampli c’était 6 mois de salaires pour celui qui gagnait le SMIC. Rien que du matos correct : une batterie c’était 15 à 20 000 F. Nous on bossait pas, ou alors des petits boulots de merde comme aujourd’hui. Une table de mixage à 50 000F aujourd’hui vaut un studio complet de l’époque. c’est deux mondes à part.
Grosbert : A l’époque, quelques groupes arrivaient à faire des K7, mais la qualité était limite. C’était juste bon pour envoyer à quelques zines. Aujourd’hui tu peux avoir une bonne qualité pour presque rien. A l’époque c’était du bruit.
Gaby : Les vinyles pirates de l’époque tu peux plus les écouter. Le matos a évolué à vitesse grand V. A Bomb était obligé de se trimbaler avec toute la sono.
Grosbert : T’imagines les moyens logistiques. On avait une DS break et on louait une camionnette. Personne ne gagnait un centime, on devait se démerder. Aujourd’hui, A Bomb serait en train de graver ses CD, sans passer par le système. A l’époque, il y avait un réseau de distribution par les fanzines. Tous les fanzines étaient proches, liés. On pouvait gérer un circuit, qu’ont bien utilisé ces fils de putes des Béruriers Noirs, qui étaient quand même malins. Je dit du mal des Bérus, mais c’est pas par rapport à leur musique, ni à leurs idées politiques, c’est qu’on a eu le malheur de jouer avec eux. Depuis on peut plus supporter. Ils se prenaient pour Dieu. Le seul problème qu’on a eu avec eux c’était avec le chanteur. On était à ce putain de concert néo-nazi avec tous les groupes d’extrême gauche sur scène. C’était bizarre.
Gaby : C’était en Bretagne.
Grosbert : Ils nous ont pris la tête. On avait juste besoin d’une corde de guitare. J’avais cassé 10 fois d’affilée la même corde de guitare. J’avais fait le tour de tous les groupes de rock de ce festival. Ils m’avaient tous filés une corde de sol. A la dixième cassée, il me restait plus que les Bérus. Je peux pas demander 2 fois la même corde au même groupe. Les Bérus refusent de me filer une corde. On a rien dit, on leur a pas tapé dessus. Le batteur de Damned est sorti de la caravane et a pris le chanteur des Bérus. Il lui a foutu une tête au carré. Les Bérus j’ai jamais pu les saquer.
Pour moi la politique et le rock n’ont rien a voir. Tu regardes dans ma discothèque, tu trouverai, politiquement, des horreurs, en particulier des groupes skins géniaux, qui ont le malheur d’être trop fachos. Le problème dans le rock, c’est la politique. Si tu mets de la bonne politique dans le rock, c’est bien, on va pas t’emmerder, c’est tout. Toi qui est un peu branché reggae, tu sais que c’est politisé. Très bien. Quand tu écoutes du reggae, tu sais à quoi t’attendre. Mais le punk ne devait pas être politique. C’est un truc au départ, irrécupérable. No Future, ça doit pas faire passer un message pour sauver l’humanité.
Maître Follas : Ouais, mais il faut prendre le terme politique au premier sens du terme, au sens de l’expression de certaines valeurs, pas au sens de parti, d’élections…
Grosbert : Ouais mais moi j’en ai des valeurs, mais je les ai jamais fait passer dans ma musique. Quand notre batteur s’est mis à coller des affiches du Front National, on lui a tous dit “ mais t’es fou, t’es un gitan, t’es le premier qui va crever le jour où ils passent ”. Mais c’est tout. On s’est dit il est dingue, mais on s’est pas dit que ça posait un problème au niveau du groupe. Tu parles à un fan de rockabilly, mais tu sais que les rockys ne sont pas nets. Il y a un tas de gros racistes, là dedans. Mais le rock, c’est la base. Vince Taylor reconnaîtra les siens.
Gaby : Tu parles du rock parce que tu aime ça, mais Loukoum, elle était plus branchée sur le punk. Elle écoutait pas du Elvis ou du Vince Taylor.
Grosbert : Dans A Bomb, il y avait moi et Gaby qui étions branchés sur la musique qui existait avant le punk. On était déjà dans le bain. Moi j’avais fait 20 groupes avant, il avait sonorisé 20 groupes avant. J’arrive à Strasbourg et je me retrouve dans ce groupe magique…
Gaby : C’était 5 personnes avec 5 musiques différentes.
Grosbert : Il y avait le plus grand batteur du monde Lucien, j’ai jamais su sur quoi il était branché en musique. Il y avait la plus grande chanteuse du monde, le bassistes le plus destroy de l’histoire, qui eux étaient branchés que sur le punk. Ils étaient les fils du punk. Moi et Gaby ont avait écouté du James Brown, du Elvis avant. On avait une culture rock complète. Du coup on en voulait un peu plus dur. Le punk existait avant le punk et pas que dans l’esprit. Dans la musique aussi. Toi qui écoute la Souris Déglinguée, il y a rien de punk la dedans. T’écoutes des groupes de rock des USA du début des années 60, c’est 1000 fois plus punk que LSD.
De toute façon Gaby et moi on était un peu des martiens. De toute façon on avait les cheveux longs. C’était super d’être branché avec les rockys et les punks, avec les cheveux longs. On les emmerdait mais de toute façon on était méchant.
Gaby : On foutait le bordel.
Grosbert : On tournait au speed et aux amphétamines. De toute façon les punks étaient méchants, les rockys étaient méchants, nous on étaient méchants, les crafeuss étaient méchants et tout le monde était méchant. Là on approche des élections, tout le monde se plaint de la violence, mais à l’époque tout le monde était méchant. Il y avait pas un flic qui mettait les pieds au Neuhof à l’époque. A la Krutenau, en plein centre de Strasbourg, ils avaient pas intérêt à mettre les pieds. La ville était méchante, mais personne s’en rappelle.
Maître Follas : Les années 80 s’était aussi l’époque des concerts sauvages, partout, dans la rue, les lieux publics,… Est ce que ça a existé à Strasbourg ?
Grosbert : Nous on en faisait pas. On avait un local où personne ne nous emmerdait. On organisait des concerts dans notre salle de répet.
Gaby : On avait le caveau à la Galia, sous le CROUS, où la salle était assez grande pour faire rentrer facile 150 à 200 personnes. On a joué plusieurs fois avec les Mouches, Captain Caverne et M et les Maudits. C’est avec eux qu’on a commencé à faire des trucs dans ce caveau.