Maître Follas : Pour revenir à A Bomb, vous aviez un local de répétition assez particulier, sous la Gallia (resto universitaire géré par les corpos).
Grosbert : Oui une ancienne prison de la Gestapo. J’y ai dormi pendant des années. On vivait avec rien du tout. On avait pas une tune. Toutes les années A Bomb, c’était des années…
Gaby : …galères
Grosbert : On réinventait tout. Tous les problèmes on les réglaient mais je sais toujours pas comment on faisait. On avait l’énergie. On bossait pas, on avait que ça à faire.
Gaby : On faisait tout nous même.
Grosbert : Ce local était une cave qui nous était généreusement prêté par l’association étudiante… c’était peut être l’UNEF-ID je sais pas [sans doute l’AFGES, corpos]… Personne ne nous emmerdait, jusqu’au jour où ils ont voulu en faire une boite de nuit. A force de voir passer des punks zarbis ivres morts, ils ont dit qu’il y avait peut être moyen de faire du fric avec ça. Nous on faisait payer les entrée 15F mais la bière était gratuite.
Maître Follas : ça devait provoquer une certaine ambiance.
Gaby : Quand on faisait une soirée dans notre local, avec 200 personnes, on avait 700 bouteilles de 75 cl de bière. Les bouteilles y passaient en 1 heure et demi. Ils payaient 15 balles l’entrée et étaient largement gagnant dans l’histoire.
Maître Follas : Et autour du groupe, il y avait des fanzines, des groupes amis… ?
Grosbert : Il y avait plein de fanzines, en particulier ceux que je faisait moi. J’en ai toujours fait. Mais c’était surtout mes dessins. J’ai toujours fait de la BD. Pour faire passer ce côté destroy. A part les miens il y avait pas de fanzines BD sur Strasbourg début 80. Enfin il y avait des trucs des étudiants d’art déco et des cochonneries comme ça. Mais rien de rock’n roll pur souche. Nous c’était Fraction Waw Limited, avec mon frangin on écrivait tout.
Gaby : A l’époque les étudiants d’art déco étaient complètement bouffés par les profs. Ils dessinaient ce que les profs leur apprenaient. Ils faisaient rien d’eux-mêmes.
Grosbert : Toutes les années 80, il y a eu une culture du fanzine à Strasbourg, dont j’ai un peu fait partie, et d’autres ont fait partie sans moi. Mais toute la France était couverte de fanzines, il y en avait des milliers. C’était plus important que Best et Rock’n Folk, qui étaient les deux derniers endroits où on pouvait espérer avoir un article un jour. C’était les deux bases de l’époque. Si t’arrivais pas à passer là dedans, c’était cuit. Du coup il y a eu tout ce faisceau de fanzines qui s’est formé dans toute la France. Il y en avait des milliers. Des fanzines hyper bien fait, nickel et des fanzines complètement crados, fait à la polycopieuse, mal fait. Tout le monde était en rapport avec tout le monde, tu savait tout, tu savais quel groupe passait à Perpignan, le dernier disque, tout !
Gaby : A l’époque, des trucs comme Best et Rock’n Folk ne prenaient que des artistes reconnus. Ils en avaient rien à foutre des petits groupes. Ils prenaient ceux qui étaient connus, qui rapportaient des tunes. Il fallait que ça se vende et ils l’auraient pas vendu avec des groupes comme nous. Ils étaient trop en retard.
Grosbert : Ils ont découvert les Sex Pistols en 81 alors que nous on les avait découvert en 77. Il y avait un journaliste de Best, Patrick Eudeline, le chanteur d’Asphalte Jungle, le plus grand groupe punk français officiel dans l’histoire, qui a sorti 3 45 tours de légende, qui ne valent pas l’album de A Bomb, mais qui sont pas mal quand même. Il a fait un super article sur le disque de A Bomb. On est tombé sur le seul naze qui restait dans les journalistes de rock.
Gaby : C’est pour ça qu’il y a eu des trucs comme Hard Rock ou Heavy Metal, car les autres prenaient que des trucs de rock, pop, et pas de metal, de hard.
Grosbert : Ils prenaient rien qui reflétaient la violence alors que dans les villes, les groupes de rock, les fanzines, la violence était partout. Elle était punk, estampillée 77 pur souche chez A Bomb. Mais c’était les années 80, il y avait le côté alternatif qui arrivait, le côté skin un peu facho qui arrivait. Il y a plein de choses qui changeaient, le hardcore arrivait. Public Ennemy, grâce à dieu, qui arrivait, le rap et plein de bonnes choses comme ça. Et puis le renouveau du ragga muffin. Je pensais pas parler de ça ce soir. Puppa Leslie de Paris est passé 8 fois à Strasbourg, je l’ai vu 8 fois. 2 fois avec le Gom Jabbar, le plus grand groupe de ragga muffin que j’ai vu dans ma vie. Je me rappelle, je ramenais toute ma bande à chaque fois. Puppa Leslie c’est un parisien, un petit black d’1 mètre 50. Il y avait des groupes extraordinaires comme ça. Eux c’était plutôt les paroles, nous c’était la musique qui était destroy. Attend que je me rappelle…le pastis est en train de faire effet…On va faire dans le culturel…