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Pour cette interview, Rom et moi, nous nous sommes retrouvés dans la salle des fêtes de Marckolsheim (67). Au programme, les marseillais de Kanjar’Oc, pour un de leurs rares passages en Alsace, et, ceux que tous le monde attendaient, les fameux Fishbone. Après le passage de Kanjar’Oc et le long set de Fishbone, encore exténués par le violent pogo dont nous sortions, nous avons posés quelques questions à Juario, bassiste (mais aussi manager) des Kanjar’Oc. Le groupe se compose par ailleurs de Chap’s, au chant, Buzz et Choukry à la guitare, Snefe aux percus, Fouge à la batterie, Bibi au trombone et Dédou à la trompette. Après 13 années d’existence, Kanjar’Oc a sorti son quatrième album en 2002, “ L’âme du feu ” (1996 : Furia Kanja ; 1997 : Fait tournée ; 1999 : Kamino Real + Kamino Real – Match Retour en 2000).

Rom : Pour commencer, comme d’habitude, une petite présentation du groupe…

Juario : C’est 10 personnes, 8 musiciens et deux techniciens. Sur scène, il y a une batterie, 2 guitare, dont 1 qui joue du clavier aussi, 1 trombone, 1 trompette, ensuite, une basse, le percus et un chateur-lead, sachant qu’il y a quand même 4 autres musiciens qui chantent, 2 chœurs et 3 lead au total. Donc ça fait beaucoup de monde sur scène. La première influence, vous l’avez vu ce soir, je crois que c’est clair [cf. Fishbone]. Il y a beaucoup d’influences. On a une base commune dans le reggae déjà, on a une base commune dans le rock alternatif, toute l’époque Mano Negra, les bérus, tout ça. Après il y a une base commune du rock américain fusion, principalement Fishbone, avec tout ce qui s’en suit derrière. Au sein de Kanjar’Oc, il y a beaucoup de gens qui écoutent beaucoup de musiques, alors bien évidemment, on ne joue pas tout ce que l’on écoute. Les influences sont variés. On est un groupe du Sud, de la région marseillaise, c’est à dire une région qui brasse beaucoup d’ethnies, d’influences. C’est un port, ouvert sur l’Afrique, le Maghreb, l’Amérique latine, tout ça… Je veux pas dire world music, parce que ça veut rien dire du tout, mais au moins ça permet de comprendre ce que l’on veut dire : une musique qui se métisse. Mais nous on vient d’un endroit qui est la zone industrielle de Marseille, c’est à dire que par rapport aux groupes marseillais, on est une tendance un peu plus dure, donc plus rock.

Rom : Comment vous définissez votre style, qui est tout de même assez hétéroclite ?

 Juario : Il y a un style, c’est celui de Kanjar’Oc, nous on appelle ça la fusion méditerranéenne. On a commencé en 89, sur les bancs de l’école. Jusqu’en 94, on a pas tourné, on faisait une date par ci par là. Dès 95, 96, on a commencé à beaucoup tourné, là on en est au 600ème concert, un peu plus. Depuis 96, on en a fait 450. On a beaucoup tourné, beaucoup rencontré de gens, de musiciens, et comme on fait une musique assez large, ça nous permet de nous retrouver sur des plateaux comme Fishbone, mais aussi Skatalites, Lofofora, les Rita Mitsouko. Tout ça, ça nous influence, on le digère. Alors au début, on fait des albums où tu vois un peu tout, et en même temps tu vois rien, parce que c’est vachement difficile de trouver ton son. Petit à petit, t’arrives à trouver ton son, ton truc. Donc là on arrive à toucher notre style, qui s’appelle la Fusion méditerranéenne.

Maître Follas : mais vous auriez pas envie une fois de faire un truc plus typé, plus proche d’un style ?

Juario : En fait, on y arrive pas. C’est à dire, tu as raison, il y a des fois on essaye. Il y a deux choses : avoir un spectacle live, où on peut se permettre d’être très riche très varié, parce que tu as des lumières, des jeux de scène, tu expliques, et le mec dans le public il écoute et il voit, et puis, il y a autre chose, l’élément discographique. Là il faut te rendre accessible, sans te trahir. Sur un disque, on essaye de recentrer un peu plus musicalement, pour avoir un bon truc, mais pas pour rentrer dans un truc typé, parce que là, au bout de 2-3 morceaux, on tourne en rond. Mais dans chaque morceau, tu ressens une tendance rock, une tension rock, et en même temps une influence reggae dub. Dans chaque morceau, tu as toujours une basse reggae ou funk, avec une batterie rock par exemple. C’est la grande trame.

Maître Follas : Vous êtes issus d’une génération, en 89, du rock alternatif, dont beaucoup de groupes (enfin, de ceux qui restent), se tournent vers le ska.

Juario : Ouais, mais nous on a pas beaucoup de ska dans notre set. On est de cette génération, mais on a surtout tiré de ces groupes, c’est l’énergie sur scène. C’est ce qu’on a en commun avec la Ruda, ou les Marcels, ou la Mano Negra, même si on est pas pareil. On est un groupe de scène et c’est ça qu’a montré le rock alternatif des années 80 : t’as pas besoin d’être signé pour remplir les salles, tu peux faire tout ton truc en autoprod. On s’inscrit pas dans une tendance ska, même si tu peux retrouver quelques groove dans un morceau.

Maître Follas : Justement, vous êtes un cas un peu particulier dans une scène marseillaise qu’on voit toujours comme purement rap ou reggae.

Juario : Ouais, t’as raison. Il y a deux sphères à Marseille : le rap, qui communique très peu avec la sphère reggae, laquelle est tout de même plus ouverte (reggae, ska, world, électro, afro). Nous on est plus dans cette sphère globale.

Maître Follas : Vous avez un objectif avec ce groupe, une ambition particulière ?

Juario : Bien sur. On a envie qu’il y ait de plus en plus de monde qui connaisse notre musique, en restant intègre dans la mesure du possible, ça va de soi. Et surtout, passer des soirées comme ça, jouer avec des ténors comme on vient de faire. Voyager dans toute la France, c’est déjà un peu fait, remplir le plus de salles, tourner encore plus en Espagne. C’est la première année ou vient beaucoup dans l’est. On était venu à Marckolsheim en juin, pour jouer avec Big Mama et Rasta Bigoud, grâce à Zone 51. On était heureux que ça se passe. On veut se tourner plus vers l’est (Allemagne, Belgique, …).

Rom : Après 13 ans de concert, qu’est ce qui vous donne toujours l’envie, la motivation pour continuer.

Juario : C’est principalement les rencontres… Quand tu fais de la musique, tu la fait pas pour toi même, sinon tu la ferais dans ton garage. Tu montes sur scène, tu sais que tu veux dire quelque chose. C’est ce qui nous motive le plus : aller au devant du public et transmettre ce qu’on a à transmettre. On est pas un groupe engagé, on est concerné, simplement. Ça passe par les textes ou par une musique. On parle de métissage, tout le monde en parle, mais c’est aussi dire au public “ Attention on veut vous enfermer dans un style rock ou ska ou ci ou ça… ”. C’est faux, on a bien vu ce soir qu’il y a un public ska trad, un public punk trad, un public qui veut écouter de la jungle, etc. Les gens écoutent de tout, mais… Les médias, les majors, les radios, essayent de te faire rentrer dans une canalisation. Notre message est là : le public il est multiple.

Rom : Vos paroles, engagée, comparée souvent à Zebda, elles veulent faire passer un message…

Juario : On a pas de revendications… Enfin, oui et non… Disons qu’on est pas des vaches qui regardent passer un train. Actuellement, la culture est de plus en plus attaquée, mais on ne rentre pas dans le domaine du social, c’est encore pire. En tout cas, en ce moment, c’est grave menacé, donc il faut se mobiliser. Pour cela, il y a des choses que l’on peut faire soi-même : écouter le plus de musiques variées, aller voir le plus de concerts variés, soutenir des artistes, c’est facile. Il suffit d’acheter un disque, intelligemment, de se déplacer dans les concerts, de s’ouvrir.

Rom : Être acteur de culture…

Juario : Voilà c’est ça. On est tous acteurs de culture. Les artistes, mais surtout le public. Sans public, il n’y a pas de culture. Certains artistes l’oublient. Le message, il est là. Mais on est une génération multiple. Qu’au ce soit au niveau d’internet, ou tout ça, il y a de multiples sources musicales. Le message, il est de se prendre en charge soi-même. La Mano Negra, Noir Désir, qu’ils aient signer ou pas, tu peux diriger ton truc, tant bien que mal, le chemin est dur. C’est une génération qu’est un petit peu trop assistée. Donc on est plusieurs, que ce soit pour la musique, le théâtre, une équipe de foot, n’importe quoi, il faut se prendre en main pour faire avancer son projet.

Rom : Justement, au niveau de la production, comment ça se passe pour vos disques ?

Juario : Nous on a fait une expérience avec une major, Sony, ça c’est très mal passé. On avait pas les moyens de défendre notre projet, donc on a cassé notre contrat. On avait encore de quoi faire un album. Après on est parti sur une autoprod, au sens ou on a financé nous même. Mais faire un album c’est un métier aussi, donc on s’est entouré de certaines personnes qui travaillent dans le rap à Marseille, qu’on connaissait depuis longtemps, on a donc travaillé avec des pro. On s’est responsabilisé, on a produit nous même, mais pour que ce soit digne d’une bonne qualité de son. Parce que souvent, autoprod, c’est connoté mauvaise qualité de son, démo, premier truc. On voulait que ce soit quand même à la hauteur, mais bien sur, on peut toujours mieux faire. On avait quand même peu de moyens. Mais ça fait partie de la démarche, c’est un peu ce qui est développé dans nos messages. Après, il y a des tucs un peu moins, ou un peu plus, mais quand on voit le score qu’il a fait le monsieur aux élections présidentielles, même s’ils y en a plein qui le disent, il faut le dire quand même. Il faut ce méfier de ces partis là, mais aussi des partis politiquement corrects, mais qui mettent en place une politique pompée sur les fachos, c’est ce qui se passe en ce moment. Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce qu’on dit, mais on est pas des vaches qui regardent passer un train, c’est pour ça que je préfère dire concerné qu’engagé. Il y a des groupes qui sont plus engagés, on les respecte, nous on a pas les épaules pour avoir un discours comme ça au micro.

Rom : Il n’y a rien de forcé quoi. D’ailleurs j’ai noté qu’une de vos chansons qui parle de Marseille, d’un “ monopôle du soleil ”… vous vous remettez en question aussi.

Juario : Exactement. Venir de Marseille, c’est pas un gage de qualité. A Marseille, il y a des trucs qui sont nuls, y’a pas photos. Mais c’est à la mode en ce moment. C’est pourtant une ville très pauvre, avec un fort taux de chômage. C’est une manière de se moquer aussi de cette mode, de montrer notre réalité, en disant “ Laissez une place au soleil à ceux qui vivent dans la rage ”. On se moque de nous, de tous ces gens qui viennent du sud, qui arrivent en seigneur à l’extérieur, avec une nature exubérante, c’est une autodérision. C’est aussi pour faire comprendre à ceux qui ne peuvent pas comprendre comment vivent les Marseillais, au second degré, et aussi pour ceux qui viennent du sud, pour leur dire qu’ils ont rien de plus que ceux qui vivent au dessus.

Maître Follas : Justement, vous faites aussi partie d’une génération de groupes qui revendiquent leur appartenance à une région (Marcels à Lille, Spook à Toulouse,…), vous pensez que cette origine marseillaise vous apporte une originalité, une différence dans votre musique ?

Juario : Ouais c’est sur, c’est ce que je disais au début : on fait pas exprès, t’es toujours influencé par ton environnement. Ce qui est fort à Marseille, c’est que si t’es né à Lille, à New York, tu vis à Marseille, 10 15 ans et tu deviens Marseillais. Ça n’existe pas les marseillais pour souche, tu deviens pur souche après un certain nombre d’années. Donc nous on est influencé par plein de musique. C’est un port tourné vers l’orient, le Maghreb, l’Afrique, ce qui n’est pas le cas à Lille, donc c’est pas les mêmes influences. Maintenant le revendiquer… ? On s’appelle Kanjar’Oc. C’est Kanjar, le poignard maure, sans garde, avec plus de risques, ce que tu retrouve dans les paroles du feu sacré, et puis, il y a Oc. Souvent les gens pensent que ça vient de rock. Mais ça vient d’Occitanie. Mais on a un positionnement différent par rapport à Massillia Sound System ou Dupain, qu’on connaît très bien d’ailleurs, un ancien de Kanja est chanteur de Dupain. Pour nous l’Occitanie c’est au sens très large, au sens terre d’accueil. On ne chante pas en occitan, on ne parle pas occitan, on comprend évidemment parce que ça se parle. Mais on est français, on parle français, ou plutôt une langue basée sur le français, avec plein de mots espagnols, arabes… On revendique une terre, qui est une terre d’accueil, mais c’est un truc très large. On revendique une appartenance car on est comme on est, mais c’est une ouverture.

Rom : Vous êtes perçu comment hors de la région ?

Juario : C’est souvent les clichés, pastis, etc.

Rom : Kargolade…

Juario : Voilà c’est pareil. On y est aller bon gré au départ, puis on a mis le holà. Il y a des textes qui parlent de ça, mais c’est de l’autodérision, ou quelque chose d’un peu plus fin, comme La Mar. C’est une comptine un peu reggae, très roots, qui fait un parallèle entre Marseille et Barcelone, 2 villes jumelles, élevées par la même mer, La Mar, mais qui sont très différentes. C’est pour montrer les similitudes et les différences dans le bassin méditerranéen. On veut pas non plus dire, les gens du sud sont comme ça, ils sont différents de ceux du nord, en même temps, ils ne sont pas si différents. On s’en méfie beaucoup, on ne veut pas faire de régionalisme.

Maître Follas : Mais après 600 concerts, vous devez avoir une idée sur le meilleur public de France, ou d’ailleurs… ?

Juario : Ouais, c’est vrai. Pour nous le meilleur public c’est la Bretagne. C’est un endroit où on croise plein de groupes, dans tous les styles. Tous les groupes vont faire leurs classes en Bretagne. C’est là qu’il y a les plus gros festival. Les Charrues sont passées devant les Eurockéennes, les Francofolies, le printemps de Bourges… Le plus gros festival découvreur de talents, ça reste les Transmusicales de Rennes. Fishbone, premier passage en France, c’est les Transmusicales. Tu peux parler d’FFF, des Rita, de Krawitz, de plein d’autres. Et puis quelque soit le style, du punk, du metal, de la world, même si ça veut rien dire encore une fois, tu trouveras ton bonheur là bas. C’est du au tissu associatif, fort, qui a formé un public, éduqué, qui a l’habitude de sortir, de voir des concerts.

Maître Follas : C’est justement une région qui a été obligée de se prendre en main, de ne compter que sur elle, à une époque.

Rom : Elle s’est débrouillé toute seule pour faire venir des groupes.

Juario : Voilà. Mais je dois reconnaître que nous, depuis 1 an et demi qu’on monte un peu (à Strasbourg il y a 1 an, à Marckolsheim en juin 2002), il y a un très bon accueil. Mais il y a des clichés. On voyait une région plus rock, rock français. Mais en discutant un peu, on se rend compte que les groupes tournent à bloc ici. On a des plan pour aller en Allemagne… Mais encore une fois, c’est parce qu’il y a un tissu associatif assez conséquent ici.

Rom : Il y a beaucoup de gens qui sont venus de Strasbourg, de Colmar ce soir. Marckolsheim c’est pas grand.

Maître Follas : Pour conclure, vous avez des projets particuliers, quelque chose à rajouter ?

Juario : Un projet, revenir le plus vite possible ici. Là on est en pleine tournée, on va tourner jusqu’à la fin de l’année. On a quelques dates qui me tiennent à cœur qui arrivent, à Marseille, dans la région. Ça fait 2 ans qu’on a pas joué à Marseille. On est un peu anxieux. On tourne beaucoup, mais faut revenir un peu. On va voir ce que ça va donner. Puis on va jouer à Paris, dans l’Ain à Bourg en Bresse, on vient de faire le moulin Brenan dans le Jura,… Si on a un souhait c’est que notre son soit diffuser le plus possible, que les gens puissent acheter l’album, c’est super cool, ça nous permet de manger et de faire tourner le groupe. Merci à vous.